On vous le répète: la monnaie telle que nous la connaissons est vouée à disparaître, et très vite. Fini le franc,
vive le cryptofranc. Oubliez le dollar, la monnaie mondiale vivra sur la Toile. La source de cette révolution?
Les nouvelles technologies de l’information qui emportent tout sur leur passage.
Qu’est-ce qu’une cryptomonnaie? La définition proposée par Wikipédia, dans sa version en anglais, est la
suivante: «Un actif digital conçu pour servir de moyen d’échange, qui utilise une cryptographie solide pour
rendre les transactions sûres, qui contrôle la création d’unités supplémentaires et qui vérifie les transferts.
Les cryptomonnaies utilisent un système de contrôle décentralisé en contraste avec la monnaie digitale
centralisée et les systèmes des banques centrales.» Beaucoup de jargon mais on peut simplifier. C’est une
monnaie virtuelle que l’on ne peut pas palper comme les billets et les pièces. Les paiements sont sûrs car
cryptés. Les paiements en cryptomonnaies se font au sein d’un réseau sur la Toile. Des volontaires
anonymes ou des algorithmes déterminent si le payeur dispose des ressources nécessaires avant d’autoriser
le transfert. Cette décentralisation, qui ressemble aux paiements existants qui se font en cash, donc de la
main à la main, diffère des virements bancaires ou autres moyens digitalisés (carte à puce, téléphone) qui
transitent par les banques et, au besoin, par les banques centrales.
Alors que l’usage du cash décline, parfois rapidement comme en Suède ou en Chine, les paiements se font
de plus en plus en monnaies virtuelles car la monnaie correspondante n’existe que sur des comptes
électroniques. Dans ce sens, les cryptomonnaies n’ont rien de nouveau. Ce qui les distingue, c’est la
décentralisation et l’absence d’autorité d’émission. Les supporters des cryptomonnaies annoncent trois
avantages. Le premier est l’anonymat. Le second est une plus grande efficacité, et donc un moindre coût,
grâce à la décentralisation. Le dernier avantage est que ces monnaies ne sont pas émises par les banques
centrales mais par des agents privés, comme le projet Libra qu’un consortium emmené par Facebook
envisage de lancer. A noter que des banques centrales, dont la BNS, disent vouloir lancer leurs propres
cryptomonnaies.
Ces avantages sont douteux, avec un inconvénient majeur. L’avantage de l’anonymat semble faible au
regard de la baisse volontaire de l’usage du cash, qui est anonyme (sauf à rechercher vos traces d’ADN sur
les billets) au profit des autres moyens de paiement traçables. Cet avantage a donc un côté sombre dans la
mesure où l’anonymat peut être important pour de mauvaises raisons.
La décentralisation des paiements est une histoire de plomberie. La question est de savoir si ça marche
mieux que le système actuel. La réponse est qu’on ne sait pas. Des expériences sont en cours, pendant que
les banques centrales améliorent l’efficacité de leurs systèmes. Quant à la sécurité des transferts, on ne peut
pas dire que le système actuel est en difficulté, tout le monde crypte.
Enfin, se passer des banques centrales peut en enthousiasmer certains, mais c’est le talon d’Achille des
cryptomonnaies. Quelle que soit sa forme depuis que l’or et l’argent ne sont plus utilisés, la monnaie n’a en
effet aucune valeur en soi, pensez aux billets, juste des morceaux de papier. Ce qui leur donne de la valeur,
c’est que quelqu’un d’autre l’acceptera. Pourquoi? Tout simplement parce que chacun en est sûr. Cette
confiance vient de l’Etat et sa banque centrale pour le cash, mais aussi pour les dépôts bancaires qui ne
valent que ce que chaque banque promet de rembourser en cash. Non seulement l’Etat garantit une partie
des dépôts (jusqu’à 100 000 francs en Suisse), mais en plus il réglemente et surveille étroitement les
banques et, au besoin, il sauve les banques en déroute. La monnaie vaut donc ce que vaut l’Etat. Des
cryptomonnaies indépendantes de l’Etat ne vaudront que ce que valent leurs créateurs. Si même les
banques très surveillées arrivent à prendre des risques excessifs, on voit mal ce qui empêchera des créateurs de monnaie libres de toute contrainte de céder à de pires tentations. L’histoire des monnaies
indépendantes – sous la forme de billets – est ancienne et longue, et elle n’est pas encourageante. Ce n’est
pas une affaire de technologie mais de confiance et, sur cet aspect, rien n’a changé. Qui parle de révolution?