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ESPIONNAGE ; Qui écoute qui ?

26/01/2020
Source : Jeune Afrique
Catégories: Taux

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En Afrique, le marché des « grandes oreilles » est en pleine expansion. Chefs d’État, opposants, hommes
d’affaires : nul n’est à l’abri des hackers, et s’en prémunir est une vraie gageure. Enquête sur une très lucrative
guerre de l’ombre.
Le bâtiment ne paie pas de mine. Coincé entre le parking des employés de la présidence gabonaise et le mur
d’enceinte longeant le boulevard de la République, à Libreville, rien ne le distingue des autres, hormis, peut-être,
le buisson d’antennes hérissées sur son toit. Nul visiteur du Palais du bord de mer, occasionnel ou régulier, ne
laisse son regard s’égarer sur ses trois étages, en apparence inoffensifs. À quelques encablures, l’esplanade du
palais attire l’œil. Plus loin, les bâtiments administratifs avalent les petites mains de la République. Rien de tel ici.
Dans ce palais des « grandes oreilles », on préfère rester discret.
Derrière ces murs blanc cassé se dissimulent pourtant le Silam, le centre d’écoutes de la présidence, que dirige
le Français Jean-Charles Solon. Cet ancien militaire passé par les services techniques de la Direction générale
des renseignements extérieurs (DGSE, les services de renseignement français), aujourd’hui fonctionnaire
gabonais à part entière, est le maître des écoutes à Libreville. Théoriquement soumis à la tutelle de la Direction
générale des services spéciaux de la présidence, dirigée par Brice Clotaire Oligui Nguema, il dispose en réalité
de son autonomie.
Chaque jour, c’est sous plis scellés que des notes sont transmises au chef de l’État, Ali Bongo Ondimba, dont le
bureau est à deux pas. Retranscription d’écoutes téléphoniques, interceptions de SMS ou de conversations sur
WhatsApp, espionnage d’échanges de courriels ou sur les réseaux sociaux… Jean-Charles Solon est, selon nos
sources, bien équipé. Il est vrai que le Silam a longtemps bénéficié de l’expertise française, du SDECE (Service
de documentation extérieure et de contre-espionnage) puis de la DGSE. Aujourd’hui, des spécialistes privés liés
aux services français ont pris le relais, comme l’entreprise Amesys (devenue Ames et Nexa Technologies, lire
p. 31), ou les plus confidentiels Ercom et Suneris Solutions.
C’est un des logiciels d’Amesys, nommé « Cerebro », qui a un temps fait fonctionner les grandes oreilles du
Silam. Une variante de la technologie commercialisée par les Français en Libye, du temps de Mouammar
Kadhafi, ou au Maroc au tournant des années 2010. Ercom et Suneris Solution occupent elles aussi une place de
choix sur le marché africain, en particulier subsaharien. La première, qui a notamment équipé le Mali et le
Sénégal, est spécialisée dans la sécurisation des échanges électroniques et téléphoniques. La seconde… dans
leur interception. Toutes deux sont basées au sud-ouest de Paris, à Villacoublay, non loin du Commandement
des opérations spéciales (COS) de l’armée. Elles sont les (discrètes) vitrines commerciales des technologies de
l’espionnage français.
À Villacoublay, le service est à la carte. « On réalise des démonstrations de certaines technologies, à l’occasion
de salons ou de visites, puis on adapte la solution proposée à la demande du client », confie un acteur du
secteur. Chez Suneris, c’est une division baptisée Homeland – du nom de la série d’espionnage américaine – qui
est à la manœuvre. Une quarantaine de salariés y travaillent, sous le sceau du secret-défense, au
développement de systèmes d’écoute pour les clients étrangers, parmi lesquels figurent, selon un ancien
employé interrogé par le journaliste d’investigation Olivier Tesquet, auteur d’une enquête sur le sujet pour le
magazine Télérama, la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Mali. Des cerveaux de ces petits génies sont déjà sortis
quelques gadgets dignes, là aussi, d’une série d’espionnage : fausses antennes-relais permettant de pénétrer les téléphones, voiture capable d’aller « aspirer des données ». Aux commerciaux ensuite de vendre ces indiscrets
bijoux à Prague, Dubaï, Paris ou encore Dakar.
« Les clients veulent acheter quelque chose qui a fait ses preuves. On ne cherche pas le gadget expérimental »,
souligne un habitué des salons. Pour l’Afrique, les deux rendez-vous à ne pas manquer sont le salon Milipol, en
novembre, à Paris, et l’ISS World Middle East and Africa, en mars, à Dubaï. En France, tout se joue dans un
environnement feutré où se croisent militaires, entrepreneurs et intermédiaires. Le stand d’Ercom vante les
mérites de ses téléphones sécurisés, dont le président Emmanuel Macron est équipé. Nexa Technologies
présente un fourgon d’interception à seulement 5 millions d’euros. Suneris Solutions est plus discret. Mais les
Français ne sont plus seuls sur le marché.
Retour à Libreville, dans les couloirs du Silam. Si le Français Jean-Charles Solon y est bien le patron, ses
subordonnés sont israéliens. Depuis plusieurs années, les entreprises de l’État hébreu dominent le marché des
écoutes en Afrique subsaharienne. Difficile de toutes les citer. La célèbre NSO (autre exposant du Milipol, à
Paris) tient une place de choix, avec des bastions importants au Kenya et en Côte d’Ivoire. Mais le maillage des
entreprises de Herzliya, quartier côtier du nord de Tel-Aviv et « Silicon Valley de l’espionnage » israélien, est
dense : Mer Group (Congo, Guinée, Nigeria, RD Congo, où elle équipe l’Agence nationale de renseignement),
Verint Systems ou encore Elbit Systems (Afrique du Sud, Angola, Éthiopie, Nigeria…).
Outre les financements américains, le principal atout des Israéliens est leur lien étroit avec l’armée et les services
de renseignement. À Herzliya, les anciens de l’Unité 8200 de Tsahal (spécialisée dans la cyberguerre) et les
ex-espions ont pignon sur rue. L’un d’eux, Shabtaï Shavit, le patron d’Athena GS3, une filiale de Mer Group,
dirigea le Mossad de 1989 à 1996 et connaît particulièrement bien le continent africain pour avoir favorisé les
relations de ses services avec le Zaïre de Mobutu Sese Seko puis avec le Cameroun (lire p. 25).
Et les Israéliens disposent de bien d’autres représentants. L’homme d’affaires Gaby Peretz, né au Maroc et
aujourd’hui patron de la société AD Consultants, y est très implanté. « Ad Con » est l’un des relais principaux de
la technologie israélienne au Burkina Faso, au Burundi, au Cameroun, en Centrafrique, au Tchad, au Gabon,
au Niger, au Nigeria, au Rwanda ou au Sénégal. Didier Sabag, un Franco-Israélien natif de Casablanca, est
quant à lui à la tête de la société Sapna Ltd, qui opère en Centrafrique, au Bénin, en Guinée-Bissau ou au Maroc
pour le compte des fournisseurs de Herzliya. En Côte d’Ivoire encore, Stéphane Konan, l’ancien spécialiste de la
cybercriminalité au ministère de l’Intérieur, a favorisé l’implantation du géant NSO et des Israéliens dans les
ministères de l’Intérieur puis de la Défense de Hamed Bakayoko, ainsi qu’à la présidence, où le préfet Vassiriki
Traoré transmet directement au chef de l’État Alassane Ouattara et à son frère Birahima.
NSO s’est même dernièrement attaché les services d’un diplomate… français, en la personne de Gérard Araud.
Cet ancien ambassadeur de France en Israël (de 2003 à 2006) explique « conseiller l’entreprise sur la façon de
protéger les droits de l’homme et la vie privée ». Il faut dire que l’entreprise n’a pas bonne presse. Depuis 2016,
elle est pointée du doigt pour avoir commercialisé le logiciel Pegasus, qui permet d’espionner un téléphone,
d’enregistrer ses positions GPS et les communications (SMS, mails, WhatsApp, Telegram, Skype…), de collecter
la liste des contacts ou encore d’activer le microphone et la caméra de l’appareil. Selon Amnesty International,
cette technologie aurait servi à espionner des défenseurs des droits humains ou des opposants au Rwanda, au
Maroc ou en Ouganda.
Ces trois pays ont démenti, même si Paul Kagame assume le fait que Kigali ait « toujours fait du
renseignement ». « C’est ainsi que tous les pays opèrent, affirmait le président rwandais en novembre 2019.
C’est un moyen de connaître ses ennemis et ceux qui les soutiennent. » « Tout le monde veut s’équiper pour
surveiller les criminels et les terroristes, confirme un expert en cybersécurité. Le problème, c’est que tout le
monde n’a pas la même définition du mot “terroriste”. »
De son côté, NSO se borne à déclarer que ses logiciels sont soumis à l’attribution d’une licence des autorités
israéliennes. Le business est légal, puisque conforme aux lois d’exportation. Même discours du côté des
concurrents français : en France, chaque contrat est soumis à l’approbation de la Commission interministérielle
des biens à double usage. Seul problème, les délibérations de cette dernière, qui réunit la primature, les
ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur et de la Défense, ainsi que les services de renseignement sont
soumises au secret-défense. « Si ce n’est pas nous qui vendons, les Israéliens ou d’autres le feront », conclut un
connaisseur du secteur.
« Les Israéliens sont partout. Ils ont même réussi à équiper l’Arabie saoudite ! Il est presque impossible de les
contourner », glisse un habitué du marché à Dubaï. Certains font toutefois mieux que résister. Les Britanniques et
les Danois de BAE Systems ont réussi à s’implanter en Afrique du Sud, en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Les
Anglais et les Allemands de Gamma Group ont quant à eux signé au Kenya, au Nigeria, en Afrique du Sud,
en Angola, en Égypte ou au Maroc. Et ceux de Trovicor (racheté depuis par les Français de Nexa Technologies) sont en Égypte, en Éthiopie et en Tunisie. Enfin, les Italiens de Hacking Team ont été repérés en Égypte, en
Éthiopie, au Maroc, au Nigeria, en Ouganda ou au Soudan, tandis que les Sud-Africains de VasTech (lire
ci-contre) travaillent ou ont travaillé en Libye et en Algérie.
« La France s’est reposée sur ses lauriers, explique un acteur français du secteur. On a longtemps contrôlé les
principaux points d’entrée de communication en Afrique, mais on interceptait les données en masse, sans
vraiment les analyser. Les Israéliens ont fini par nous devancer. » Notamment en Côte d’Ivoire, où le savoir-faire
de Tel-Aviv a vite séduit et où Israël a trouvé son compte économiquement et… politiquement. « Cela leur a
donné la possibilité d’installer des systèmes d’écoutes qui pouvaient atteindre les communautés libanaises, pour
savoir si elles finançaient ou non le Hezbollah », juge un expert.
« Les Israéliens développent des solutions beaucoup plus vite que nous », explique en outre la même source.
« Ils sont des dizaines tandis que, côté français, on préfère tout rassembler sous le même mastodonte. Cela nous
ralentit. » Le « mastodonte », c’est Thales, qui a racheté récemment Ercom et Suneris Solutions. Bousculé en
Côte d’Ivoire par les Israéliens, il tente de préserver sa tête de pont au Sénégal, où les États-Unis disposent de
leurs propres installations. Le 6 novembre 2018, Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, a
d’ailleurs inauguré à Dakar une école consacrée à la formation des cadres africains à la cybersécurité. Et c’est à
Rufisque, commune de Dakar, que les Français disposent de leur plus grand centre d’écoutes en Afrique de
l’Ouest. Équipé par… Thales.
Thales et la technologie utilisée par la DGSE ne manquent pas d’arguments, relayés par des intermédiaires tels
que l’ancien ministre de la Défense Charles Millon, missi dominici de Suneris. La présence au plus haut niveau
de la diplomatie franco-africaine des anciens de la DGSE, Franck Paris, aujourd’hui « Monsieur Afrique »
d’Emmanuel Macron, et Rémi Maréchaux, directeur Afrique du Quai d’Orsay, est également un plus indéniable.
Mais cela ne suffit pas. « Aujourd’hui, les Français ne sont parfois plus capables de travailler seuls », déplore
notre source. « Au Sahel, ce sont les Américains et les Chinois qui mènent le jeu », poursuit-elle.
Exemple révélateur : en mai 2019, ce sont les yeux et les oreilles des États-Unis, via un de leurs satellites, qui ont
permis au Commandement des opérations spéciales françaises de lancer l’opération de récupération des otages
du parc de la Pendjari. Autre signe qui ne trompe guère, le président Ibrahim Boubacar Keïta aurait récemment
choisi de se tourner vers ses partenaires chinois, moins avares selon lui que Paris dans l’échange de données.
Enfin, certains diplomates s’inquiètent de l’avancée des Russes, depuis que la société Proteï a affiché ses
ambitions lors du sommet Russie-Afrique de Sotchi, en octobre 2019. Déjà présente en Tunisie (avec Tunisie
Telecom) et au Soudan (avec MTN), elle commercialise des produits développés par les services russes du FSB.
« Les Russes sont de plus en plus présents à Dubaï, où il y a un intérêt important pour l’Afrique », confie un
acteur du marché dans le Golfe.
« On surveille les Russes de loin, mais le véritable danger vient des Chinois, qui font déjà ce qu’ils veulent en
Algérie », explique un entrepreneur français. Dans un pays d’Afrique de l’Ouest, l’opérateur chinois Huawei
contrôle le réseau de communications, et aucune ouverture de port, nécessaire à une mise en place d’écoutes,
ne peut être effectuée sans le prévenir. « Cela n’a rien d’étonnant, sourit une source. Il y a quelques années, les
machines de la DGSE à Paris étaient en partie équipées avec du matériel chinois ! » « Les Français et les
Américains nous mettent régulièrement en garde contre la Chine, en nous affirmant qu’elle dissimule des
mouchards dans ses systèmes et écoute nos communications. Mais, dans ce milieu, qui ne le fait pas ? »
tempère un diplomate africain. En août 2019, une enquête du Wall Street Journal expliquait ainsi comment
Huawei utilisait ses réseaux en Zambie et en Ouganda (où l’opposant Bobi Wine affirme avoir été espionné) pour
aider à la surveillance des adversaires aux autorités locales. La firme chinoise a démenti.
Le gouvernement ougandais a quant à lui confirmé avoir des liens avec Huawei et a expliqué que les techniciens
de ce groupe travaillaient avec la police et les services de renseignement à des fins de sécurité nationale. En
janvier 2018, Pékin avait pourtant déjà dû se défendre d’espionner les locaux de l’Union africaine à Addis-Abeba.
Résultat : la « nouvelle route de la soie », un ensemble de réseaux que veut déployer Pékin entre l’Europe,
l’Afrique et l’Asie, inquiète particulièrement les Occidentaux.
Huawei, mais aussi sa compatriote ZTE Corporations (notamment présent en Éthiopie), sont impliqués au
premier chef. Les deux entreprises travaillent d’arrache-pied pour équiper leurs clients en systèmes de
surveillance (notamment des caméras à reconnaissance faciale au Maroc, en Algérie, en Égypte, en Côte
d’Ivoire, au Rwanda, au Kenya ou en Afrique du Sud). Mais y a-t-il une face cachée de ce que la Chine présente
comme un partenariat gagnant-gagnant ? « Ils construisent et gèrent des infrastructures basées sur des réseaux
de fibre optique. Résultat, ils ont la capacité technique d’espionner tout ce qui passe par ces réseaux », explique
un expert. « Aucun de nos pays n’est capable d’assurer lui-même suffisamment de surveillance. Que ce soit avec
les Occidentaux ou les autres, on n’a pas d’autre choix que de faire confiance », conclut un diplomate sahélien.

Une chose est sûre, qu’elles soient apportées par les Français, les Russes ou les Chinois, nul ne semble pouvoir
se mettre complètement à l’abri de ces technologies. « Pour s’introduire dans un réseau, un téléphone ou un
ordinateur, il suffit d’y mettre le prix, assure un entrepreneur du secteur. Personne n’est intégralement protégé. »
Y compris les utilisateurs les plus informés. En 2018, Jeff Bezos, le patron d’Amazon et propriétaire du
Washington Post, a vu son téléphone infecté par un virus qui se serait infiltré via une conversation WhatsApp
avec le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salmane. Plusieurs dizaines de gigaoctets ont ainsi été
volés, et une enquête est en cours, notamment pour déterminer si cette fuite a un lien avec l’assassinat de Jamal
Khashoggi, reporter du Post. Depuis, WhatsApp (comme Apple peu avant lui) a annoncé une mise à jour de son
système, censée vous protéger contre les intrusions. Mais notre source conclut : « C’est sans fin. Quand Apple a
annoncé son nouveau système, les Israéliens en avaient déjà trouvé la faille ! »

 


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